Insolites
Avancer sans se perdre, un pari délicat pour le Maroc
Pas facile de se glisser dans la « modernité » et de garder son identité et encore faut-il essayer de préciser le mieux possible la notion de « modernité ». Le Maroc, avec sa vision 2020, est lancé dans une aventure économique, financière et politique qui lui fait jouer le funambule, sur le fil ténu de l'avenir. La modernité ne veut pas dire la même chose pour tout le monde. Celle de l'Occident n'est pas celle de l'Orient, celle de l'Extrême-Orient ne sera jamais celle du continent Océanien. Mais la tentation est grande, pour le Maroc, de copier à l'identique, surtout lorsque l'Europe est si proche, lorsqu'elle s'invite au quotidien dans les rues et les médinas.
Marrakech est probablement très représentative de cette grande difficulté à garder l'équilibre. A tel point que des chercheurs de tous horizons et de tous pays, urbanistes, économistes ou sociologues, se sont penchés longuement sur le problème. Un ouvrage collectif a vu le jour « Médinas immuables ». Mais quel est donc ce problème qui préoccupe autant ? Un phénomène étrange qui a débuté vers les années 1990 et qui perdure encore aujourd'hui. Dans ces années là, les occidentaux et peut-être plus particulièrement les Français découvre que l'on peut s'offrir le rêve oriental assez facilement dans la médina de Marrakech. Depuis, de maisons particulières, les riads se sont transformés en maisons d'hôtes, pour une grande majorité. L'ouvrage cité plus haut se propose de mettre à plat le positif et le négatif, de déterminer l'impact sociologique de cette prolifération sur la population traditionnaliste de la médina. Ce livre est une source de réflexion, tant pour les marocains que pour les européens, présents ensemble sur un territoire somme toute très restreint. Comment faire coïncider deux cultures, deux niveaux économiques et d'ailleurs est-ce possible ?
Un autre exemple vient en démontrer que l'on peut aussi faire un mélange, se servir ici et prendre là, tout en restant ce que l'on est. La BD est un genre qui démarre au Maroc, les éditions Alberti lancent sur le marché les œuvres d'Omar Ennaciri. Nous sommes dans une forêt près d'Agadir, la nature est menacée par un horrible magnat de l'industrie. Le graphisme est résolument américanisé dans son hyperréalisme mais, le message se nourrit et vient de lointaines racines, l'empreinte est berbère, le codage appartient au pays avant toute chose.
Et puis, pour démontrer que l'on ne devient pas ce que l'on est si facilement, le Maroc sera en 2015 et Marrakech plus particulièrement, l'hôte du Global Marketer Week. Une manifestation, que dis-je une grand-messe en l'honneur de la publicité et du marketing planétaire. C'est bien pour le Maroc, ça lui donne ses lettres de noblesse dans le monde, oui, peut-être…Mais, la dictature organisée des grandes marques mondiales, pour vendre plus et n'importe quoi encore plus vite et partout, même dans le moindre recoin de la planète, est un concept occidental, travailler beaucoup pour dépenser beaucoup, cela ne ressemble pas vraiment à la culture du Maroc. Il y a d'autres chemins, ce pays doit les trouver, pour garder son identité et développer sa propre vision de la modernité.
Source et texte intégral « Médinas immuables »
Site Maktabat al-Maghreb Collection électronique du Centre Jacques-Berque
cjb.revues.org/275http://cjb.revues.org/275