Insolites

Hommage à un conteur extraordinaire de la Place Jemaa El Fna

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Une des traditions les plus vivaces au Maroc, la transmission de la culture par le conte, le poème ou la chanson vient de perdre l’une de ses figures emblématiques à Marrakech. La place Jamaa El Fna ne sera plus tout à fait la même maintenant. Un homme que l’on connaissait sous son sobriquet, Kelly Jolie, Abdelhakim El Khabzawi, vient de quitter notre réalité pour en rejoindre une autre, faite uniquement de chansons et de danses. Il était né dans la Kasbah, avait fugué dès que possible, ne se sentait jamais mieux que dans le spectacle de la rue et avait pendant plus de 40 ans hypnotisé plusieurs générations de marrakchis. Même le visiteur d’un jour, le touriste impétrant ou distrait a vu sa volonté lui échapper, les yeux rivés sur cet homme seul, qui fait le spectacle avec rien et deux musiciens. Plutôt grand et mince, la besace en bandoulière, les ray-ban vissées et l’allure narquoise et sautillante, l’arrivée est déjà un vaudeville.
La voix rauque, la mimique évocatrice et cette capacité à la danse immobile, aux petits gestes à peine ébauchés qui déclenche peur ou hilarité, un comédien, un vrai, de ceux qui captivent et ensorcèlent, de ceux que l’on peut entendre et voir des heures entières avec la même ferveur admirative.

L’humour, la dérision, la poésie, le registre était large, jamais méchant ou agressif, seule comptait la liberté d’offrir. Bien sûr il n’était pas le seul sur la place, mais il était le plus grand, celui qui donnait vie à la vie en chantant, en racontant, en dansant, sans se prendre au sérieux, en donnant plus qu’il ne recevait.
Mais il faut être honnête d’autres conteurs et musiciens ont, sur la place, acquis leur lettre de noblesse. Il y a plus particulièrement une femme étrange qui, dans la hargne, raconte et raconte encore ce qui semble être des choses terribles qui font frémir le cercle des habitués. Le spectacle est tout autant fait par cette comédienne mégère que par la réaction du public, qui passe par toute la palette des sentiments les plus violents. Et puis un homme assis sans bouger, qui parle et chante pendant qu’une danseuse (un homme déguisé en femme) mime en silence ses histoires, réussissant à faire passer tristesse et joie dans un seul geste, en parfaite harmonie avec cette voix presque monocorde aux aspérités soudaine et exaltées. Ce sont les drames romantiques ou du quotidien qui alimentent nos saltimbanques. La peur du Djinn ou du M’louk, mais aussi l’homme de la rue qui voit dans sa femme un terrible démon. Molière aurait adorait et s’en serait certainement inspiré.

Il y a les spectacles du soir et aussi ceux du matin tôt lorsque la place n’est encore qu’un espace presque vide où les marocains sont, pour quelques heures encore, propriétaires de l’espace, spectateurs enthousiastes aux scénettes de leur vie et de leur histoire.

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Bons plans
 


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