Insolites
Le safran un trésor millénaire
Si l’on ne devait retenir de l’homme qu’une qualité ce serait son ingéniosité. En bon observateur de son environnement, il y a de cela plusieurs millénaires, un être humain par hasard ou par intelligence, fit la découverte des nombreuses qualités d’une fleur et la transforma en véritable corne d’abondance par son savoir faire.
Le safran est une plante aromatique qui permet de colorer, d’épicer et aussi de se soigner. Elle est symbole de pureté et d’innocence dans le monde Musulman même si par ailleurs le fait de porter un vêtement coloré au safran n’est pas autorisé lors d’un acte religieux à caractère sacré.
La Région du Siroua au Maroc nous offre l’un des meilleur safran au monde, le safran d’Askaoune. Il est toujours récolté à la main, par des hommes et des femmes passionnés par cette plante exceptionnelle. L’art ancestral de la production et de la cueillette reste inchangé, les trois stigmates sont délicatement prélevés pour être séchés et conditionnés avec soin. Un an de production ne permet que 45 kg de produit fini, ce qui en dit long sur le caractère précieux de cet or rouge.
L’homme, dans son acharnement créatif, a modelé une plante sauvage pour en faire une usine capable de produire un trésor rare, donc cher, donc convoité. Dès les origines de la culture de cette plante aromatique, les bénéfices financiers sont conséquents et la corruption, la conspiration et les luttes d’influence vont bon train pour s’octroyer le monopole de cette manne. Et pourtant, ainsi transformée, elle ne peut se reproduire sans l’aide de la main humaine. L’investissement financier et humain est donc très important. Alors les filaments deviennent plus longs par sélection successive, donc porteur de plus de trésor. La production de cette épice nécessite patience et main d’œuvre en quantité. Les filaments présents dans la fleur doivent être récoltés à la main puis séchés très rapidement pour garder toute leur intégrité. Les plants doivent être replantés par l’homme pour qu’une prochaine récolte soit possible.
A peu près à la même époque, quelque mille an avant notre ère, en extrême Orient, de la Chine au Tibet en passant par l’Inde, l’homme découvrait un autre trésor qui allait pratiquement faire et défaire les empereurs et autres rois. Une lente bien insignifiante allait, en se transformant, devenir une usine de production du fil de soie. La très célèbre route de la soie sera pendant des siècles une autoroute de profit à tout prix. La Chine, désireuse de garder jalousement la maîtrise de la production, fera exécuter tout producteur non autorisé. Mais, tant les bénéfices sont énormes, que beaucoup passeront outre. Au Tibet, de vénérables monastères se lancent dans l’aventure et produisent les merveilleuses soieries tant convoitées. Les différents courants religieux présents en Chine, en Inde et au Tibet se servent alors de cette manne financière pour tenter, par toutes sortes de vilenies et autres conspirations, d’assurer à leur église la prédominance.
Quelque soit la force d’un symbole et la force d’une foi, l’homme dans sa grande créativité et sa haute folie, se montre capable du pire comme du meilleur. Capable de dompter la nature en oubliant qu’elle est son héritage, capable d’inventions étonnantes et bienveillantes qu’il transforme immanquablement en destruction. Le safran, symbole d’innocence et de pureté, pour qui l’on s'est déchiré, la soie qui entoure le fronton des temples de Bouddha, pour qui on a renié sa foi en Bouddha.
Mais peu importe, le véritable trésor est dans la saveur et la couleur incomparable du safran, le véritable cadeau des dieux est dans la voluptueuse douceur chatoyante de la soie.